Axe 3 · Pratiques professionnelles, groupes et institutions de travail

Responsable : Robert Ngueutsa

Présentation

L’axe «Pratiques professionnelles, Groupes et Institutions de Travail» a pour objectif général de développer des connaissances plus intégrées en lien avec les problématiques du monde du travail au sens large. Il tient compte de la diversité des facteurs en jeu, qu’ils soient individuels (psychiques, affectifs, cognitifs, motivationnels…), groupaux (fonctionnement d’équipe, pratiques partagées…), institutionnels / organisationnels, (conditions de travail, histoire, structuration) et sociétaux (idéologies dominantes, facteurs culturels, conjoncture sociale et économique…). Il vise également à fournir un cadre réflexif permettant le transfert et l’élaboration de réponses pratiques à destination des professionnels faisant face aux enjeux organisationnels et relationnels du monde du travail. Il s’appuie ainsi sur un réseau de partenaires socio-économiques divers (institutions publiques, associations, entreprises, cabinets privés).

Il abordera des problématiques relevant principalement de 4 lignes directrices :
1) Dynamiques des liens, des groupes et des fonctionnements institutionnels / organisationnels,
2) Conditions de vie et de travail, mutations des organisations et de l’emploi,
3) Compétences / expertises, processus décisionnels et innovation dans les pratiques individuelles et collectives,
4) Développement d’outils et de dispositifs d’évaluation, d’accompagnement et d’intervention destinés aux professionnels.
Non-exclusives entre elles, ces lignes seront abordées selon une diversité d’approches conceptuelles/théoriques, méthodologiques et épistémologiques.

1. Dynamique des liens, des groupes et des fonctionnements institutionnels /organisationnels

Cette ligne directrice propose en premier lieu une analyse de la dynamique des groupes professionnels, notamment en termes de communication, de cohésion / conflits, de vie émotionnelle et de liens intersubjectifs, de leadership et de pouvoir, d’inclusion-exclusion, de réflexivité ou encore d’identification, contenance et projections… avec en trame de fond les enjeux psychiques et sociaux afférents (p.ex. filiation et besoin d’appartenance, identité, vie psychique et construction de Soi). Elle propose en second lieu un regard plus élargi du système de relations dans lequel ces groupes se situent (autres groupes professionnels, groupes « d’usagers » [p.ex. élèves, patients, clients], organisations employeuses, autres professions…), afin de contextualiser la compréhension des dynamiques observées. Enfin, dans la mesure où individus et groupes sont historiquement, géographiquement et culturellement situés dans un contexte plus élargi, cette ligne directrice offre également une analyse plus large des méta-cadres sous-jacents (institutionnels, sociétaux, (inter)culturels, idéologiques, politiques…).
A titre d’exemple, nous pouvons évoquer le développement d’une recherche menée au sein d’Organisations Non Gouvernementales (ONG) opérant en Afrique et en Asie, au sujet des problématiques interculturelles de leadership et de justice organisationnelle auprès de travailleurs nationaux et expatriés. Nous pouvons également évoquer des travaux abordant le rôle de la qualité des relations, de l’identification sociale et de la réflexivité en tant que ressources mobilisables dans la gestion des émotions (par exemple en situation de « crise ») et dans la réalisation d’un travail d’équipe de qualité. La dimension émotionnelle est également objet d’étude chez les groupes professionnels confrontés aux traumatismes d’autrui (p.ex. en cas de violences conjugales), à la vieillesse ou à la fin de vie. Les mécanismes identificatoires, le traumatisme vicariant relèvent de problématiques groupales autant qu’individuelles, car impactant le fonctionnement d’équipe et les agirs professionnels. En dernière illustration, nous pouvons citer des études centrées sur les impacts de l’idéologie néolibérale sur la responsabilisation individuelle des professionnels, sur les fonctionnements d’équipe (p.ex. soutien social insuffisant), sur le système d’évaluation des « performances » et sur la régulation des situations difficiles (stress, épuisement, harcèlement…).

2. Conditions de vie et de travail, mutations des organisations et de l’emploi

Les transformations des organisations de travail et de l’emploi opérées ces dernières années ont des effets significatifs sur les travailleurs. Ces mutations sont multiples : nouveaux modes de management et de « rationalisation » du travail, introduction de nouveaux outils technologiques et développement du télétravail, changement des missions et des qualifications requises pour exercer une profession, nouvelles formes et précarisation des contrats de travail, fusions et restructurations… Il s’agit dans le cadre de cette ligne directrice de mieux comprendre ces mutations et leurs impacts sur l’activité, l’individu, les relations interpersonnelles…
Par exemple, plusieurs recherches examinent l’impact du recours accru au travail temporaire (CDD, intérim, saisonniers) ou au travail informel (non déclaré), sur le travailleur lui-même (satisfaction, implication…), sur ses relations avec les autres travailleurs (coopération/confiance vs. compétition/défiance), ainsi que sur l’organisation (turn-over, absentéisme, arrêts de travail…). D’autres travaux abordent la question des conditions de vie et de travail abordée auprès de publics variés (assistants familiaux en France, soignants..), à travers notamment leurs évolutions (structurelles ou conjoncturelles, comme avec la pandémie de Covid-19) et leurs impacts sur la qualité de la prise en charge des bénéficiaires de l’activité (p.ex., clients, patients, enfants confiés). Egalement, plusieurs études traitent des effets des technologies de l’information et de la communication sur les exigences et sur le sentiment de contrôle au travail, y compris en contexte de télétravail (p.ex. chez les professionnels de l’éducation lors des confinements liés à la Covid-19). En dernier exemple, une étude en cours aborde l’impact d’une restructuration organisationnelle sur l’activité et les risques psychosociaux chez les salariés d’une association. Cette ligne directrice amène ainsi les chercheur·es du laboratoire à tisser des relations avec différents professionnels du terrain (p.ex. cabinets de consultants, ingénieurs QSE, services hospitaliers…).

3. Compétences / expertises, processus décisionnels et innovation dans les pratiques individuelles et collectives

Pouvoir agir avec efficacité et créativité en réponse aux exigences de l’environnement social (p.ex. professionnel) nécessite l’acquisition de compétences pouvant être multiples. Cette acquisition s’opère à travers un processus développemental faisant passer l’individu ou groupe du statut de « novice » au statut « d’expert », avec dans ce dernier cas une plus grande flexibilité adaptative du fait d’un plus large répértoire de connaissances et d’expériences vécues. En outre, une action efficace et adaptée implique la mise en œuvre de processus d’évaluation de soi et des situations-problèmes, ainsi que de production d’une réponse comportementale. Ainsi, cette ligne directrice analyse les processus en jeu dans le développement des compétences et « expertises » et dans les prises de décision au cours d’une activité de travail.
En guise d’exemples, nous pouvons tout d’abord citer l’impact des émotions anticipées et d’anticipation associées à une mise en situation professionnelle, sur le développement des compétences d’étudiant·es en soins infirmiers, ou encore le rôle des compétences émotionnelles dans l’ajustement aux situations de travail. L’influence des compétences perçues sur les comportements au travail (efforts, persévérance vs. retrait, abandon ) entre aussi dans le champ de cette ligne directrice, de même que l’impact des appartenances à un groupe stéréotypé comme peu compétent (p.ex. femmes pour des activités « masculines », travailleurs informels en Afrique) sur le développement des compétences effectives. Également dans le but de mettre en évidence des freins à la pleine expression des compétences et innovations dans les pratiques, une autre étude analyse l’impact des contraintes au travail et du manque de ressources. Enfin, les processus socio-cognitifs par lesquels un professionnel peut juger une situation et prendre une décision (p.ex. heuristiques, biais, activation de systèmes de pensées) font l’objet d’étude, avec notamment une mise en perspective des individus / groupes « novices » versus « experts ».

4. Développement d’outils et de dispositifs d’évaluation, d’accompagnement et d’intervention destinés aux professionnels

Les rapports et enjeux qui se développent dans le monde du travail demandent de développer de nouvelles connaissances et de fournir un nouveau cadre réflexif et élaboratif de réponses adaptées aux besoins du terrain et des professionnels. Dans ce contexte, plusieurs travaux de l’axe développent des outils et des dispositifs pouvant servir la recherche, mais également pouvant venir en appui des pratiques de professionnels de secteurs variés. Ce travail s’effectue en France et à l’étranger (dimension interculturelle) à partir de différentes approches conceptuelles et méthodologiques. Il s’agit aussi bien d’élaborer des outils/dispositifs centrés sur les professionnels eux-mêmes (p.ex.., qualité de vie et conditions de travail), qu’utilisables à destination de leurs « usagers » (p.ex.. enfants, patients, travailleurs). A ce titre, les études mobilisent bien souvent les professionnels concernés dans le processus d’élaboration des outils/dispositifs afférents.
En illustration, nous pouvons évoquer l’élaboration d’un dispositif de communication sur les risques professionnels en industries à risque, le développement d’outils / échelles d’évaluation de la qualité de vie et des conditions de travail (certification QVCT, baromètre social), des émotions liées au travail (travail émotionnel..) ou de perceptions/représentations des formes « atypiques » de travail (p.ex.. travail informel, travail temporaire). Cela est le cas également de travaux visant la co-construction d’un dispositif thérapeutique groupal basé sur la réalité virtuelle en EHPAD à destination des personnes âgées dépendantes, de recherches développant une démarche réflexive et développementale des collectifs de travail par la clinique de l’activité, ou la mise en place de recherches-actions sur l’histoire de vie des enfants confiés, avec un accompagnement des professionnels de l’enfance et une évaluation du dispositif. Dans cette ligne s’inscrit également un travail important d’élaboration d’outils d’évaluation clinique des liens familiaux, afin de mieux accompagner les professionnels dans leurs pratiques à destinations des familles. Enfin, on peut mentionner aussi des travaux mettant expérimentalement à l’épreuve certains dispositifs (p.ex.. évaluation de l’efficacité d’un outil d’aide à la communication patient-soignant, de dispositifs de prévention des comportements de harcèlement). Ces outils en construction ou en évaluation, par la richesse de la diversité des approches et des contextes, permet le développement de nouvelles connaissances, une co-élaboration de dispositifs, ouvrent vers de nouvelles pistes d’accompagnement des professionnels et renforcent les liens avec les partenaires socio- économiques.