Équipe III · Psychologie et dynamique de la cognition

Responsable : André Didierjean

Cette équipe aborde l’étude de la cognition via les concepts et méthodes issus notamment de la psychologie cognitive. Dans nos interactions avec l’environnement nous sollicitons en permanence des processus cognitifs qui recueillent des informations extérieures, les combinent avec des connaissances déjà présentes en mémoire, et les utilisent pour conduire aux meilleures décisions possibles. Dans le même temps, d’autres processus analysent les situations rencontrées pour modifier les connaissances déjà en mémoire pour obtenir, dans l’avenir, une meilleure adaptation.

Les travaux réalisés dans cette équipe ont pour objectif d’étudier cette dynamique de la cognition : comment les processus perceptifs interagissent avec la mémoire pour produire la meilleure représentation du monde en temps réel, comment les processus de prise de décision utilisent ces connaissances, et comment les processus d’apprentissage construisent de nouvelles connaissances. Pour étudier ces processus, dans les travaux réalisés, une importance particulière est donnée aux moments où ces processus sont « en difficulté », comme autant de révélateurs des lois qui les régissent. Sont ainsi particulièrement étudiés certains biais de raisonnement, certaines erreurs perceptives ou encore certaines limites aux processus d’apprentissage.

Cette étude de la dynamique de la cognition comprendra ainsi en particulier trois lignes directrices :
1. Mémoire et perception visuelle
2. Apprentissage implicite et « statistical learning »
3. Heuristiques, biais et prise de décision

1. Mémoire et perception visuelle

Les travaux réalisés dans l’équipe à ce jour, et dans les années à venir, portent essentiellement sur une caractéristique du système visuel : sa capacité à compléter la pauvreté des informations provenant des sens par des connaissances issues de la mémoire. Ce phénomène est notamment visible lors d’une erreur commise dans des tâches de mémoire visuelle : l’extension des limites (ou Boundary Extension, BE).

Le fonctionnement du système visuel se caractérise par la rapidité et l’efficacité des traitements opérés, dont on sait qu’elles revêtent une fonction adaptative importante. Si l’on considère la question d’un point de vue évolutionniste, cette capacité constituerait une composante essentielle des systèmes vivants biologiques, les chances de survie d’un animal dépendant directement de sa capacité à identifier rapidement un prédateur ou une proie potentielle. Pourtant le système visuel a une capacité très limitée: nous percevons uniquement les informations au centre de notre rétine. L’une des conséquences de ce champ visuel limité spatialement est de ne révéler que des vues partielles d’un monde continu, dont l’individu doit prendre connaissance par le biais de mouvements oculaires ou corporels. Du fait de l’internalisation de la structure physique de l’environnement, ces vues partielles sont à l’origine d’une attente de continuité spatiale. Lors de la compréhension initiale des vues perçues, le système visuel est ainsi engagé dans un processus d’extrapolation de la structure spatiale probable des régions de l’environnement échappant à la perception de l’observateur, l’extension des limites (BE). Il s’agit d’une distorsion de la mémoire visuo-spatiale caractérisée par une tendance à surestimer l’étendue des vues préalablement perçues, le souvenir de l’observateur incluant de l’information que ne comportait pas la scène originale mais que le contexte rend plausible d’inférer. Dans les travaux réalisés nous étudions les caractéristiques de ce phénomène de BE, notamment le rôle de l’attention dans ce phénomène, son lien avec d’autres types de « faux souvenirs » et son caractère intermodal.

2. Apprentissage implicite et « statistical learning »

Nos travaux se centrent sur une facette assez spécifique de la question de l’apprentissage : la capacité d’acquérir des connaissances, non seulement sans volonté délibérée d’apprendre, mais également sans prise de conscience de ce qui est appris. Ces recherches s’inscrivent dans le champ des travaux sur « l’apprentissage implicite » ou encore le « statistical learning ».

Dans la plupart de nos activités nous sommes capables de focaliser notre attention sur la zone de la scène la plus pertinente par rapport à l’activité en cours. Ainsi, par exemple, au volant de notre voiture en arrivant à un carrefour notre attention se porte automatiquement sur la zone susceptible de contenir un panneau ou un feu. Un paradigme permet en particulier d’étudier expérimentalement comment sont apprises les connaissances utilisées pour guider l’attention : le paradigme d’indiçage contextuel. Dans ces expériences les participants passent une tâche de blocs d’essais de recherche visuelle (par exemple ils cherchent un T parmi des Ls). Sans qu’ils en soient informés, la moitié des essais de chaque bloc sont définis comme « constants », et l’autre moitié comme « variables ».

Dans les essais constants, la cible est systématiquement associée à un contexte prédictible de sa localisation ou de son identité. Dans les essais variables, le contexte dans lequel apparaît la cible est aléatoire. Un effet d’indiçage contextuel se traduit par une détection progressivement plus rapide de la cible lorsqu’elle est présentée dans un contexte constant que dans un contexte variable. Les travaux réalisés dans l’équipe sur ce processus d’apprentissage visent à en tester les limites, que ce soit en variant les délais temporels entre indice et cible ou en explorant le contextual cueing en mémoire iconique.

3. Heuristiques, biais et prise de décision

Au quotidien, l’humain est très fréquemment amené à prendre des décisions. Certaines de ces décisions ont peu d’impact (p.ex. un ou deux sucres dans notre café ?), d’autres beaucoup plus (p.ex. faut-il surenchérir pour un achat immobilier qui engage un emprunt sur 30 ans ?), mais la plupart de ces décisions sont prises de manière rapide, automatique et inconsciente, grâce à l’utilisation d’heuristiques. Les heuristiques sont des raccourcis mentaux qui visent à optimiser notre adaptation à des situations complexes ou incertaines. Toutefois, elles conduisent parfois à réaliser des erreurs, menant à des jugements irrationnels. Ces erreurs sont appelées « biais cognitifs ».

Dans nos travaux nous étudions à ce jour certaines heuristiques, et les biais cognitifs allant avec, dans des champs particuliers d’application qui se prêtent particulièrement bien à leur étude : la prestidigitation et la prise de décision judiciaire. Dans le cadre de la prestidigitation il s’agit d’étudier en laboratoire les mécanismes cognitifs utilisés par les magiciens. En effet, parmi les « trucs » qu’utilisent les prestidigitateurs pour tromper le spectateur, beaucoup s’appuient sur une connaissance fine de l’esprit humain et de ses limites, notamment dans le champ du raisonnement. En analysant les processus en jeu dans la magie, l’ambition de nos recherches est de permettre non seulement un éclairage original des processus cognitifs connus, mais aussi de mettre à jour des processus cognitifs non encore étudiés à ce jour.

Parallèlement nous réalisons des travaux sur les biais cognitifs dans la prise de décision judiciaire. En effet dans ce champ les décisions ont une importance toute particulière, et la grande motivation des acteurs de ce champ à prendre « les bonnes décisions » offre un outil particulièrement intéressant pour comprendre les raisons des biais cognitifs qui malgré tout subsistent.